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Familles en mutation: où en est la Suisse?

05/11/2025

Stephanie Steinmetz, professeure associée de sociologie à l'Université de Lausanne (UNIL) et coordinatrice scientifique du Programme suisse Générations et Genre. KA / Centre LIVES

Diversité familiale croissante, stagnation de l'égalité des genres, baisse de la fécondité... La Suisse s'apprête à rejoindre l'enquête européenne Générations et Genre, sous la coordination de la sociologue Stéphanie Steinmetz de l'UNIL, pour étudier toutes ces thématiques. L'enquête permettra de saisir comment évoluent réellement les trajectoires familiales et les attitudes autour de la famille, du travail et des responsabilités de care. Entretien.

Quel est l'objectif principal de ce projet de recherche?
Nous souhaitons effectuer un «test de réalité» pour évaluer si la Suisse, comparée à d'autres pays européens, est bien équipée pour faire face à des défis sociodémographiques cruciaux liés à trois enjeux clés: la diversification croissante des familles, la stagnation de l'égalité des genres et le déclin de la fécondité.

Diversité familiale... Qu'essayez-vous de comprendre?
Le modèle traditionnel père-mère-enfant des familles suisses a considérablement évolué. Il existe désormais différents types de familles - familles recomposées, familles homoparentales, familles avec beaux-parents, familles monoparentales. Les configurations sont diverses. Mais comment la Suisse se compare-t-elle aux autres pays en termes d'acceptation de cette diversité? Et surtout, notre cadre juridique et politique soutient-il ces différentes formes familiales?

Le deuxième axe concerne la stagnation de l'égalité des genres. Quel est le problème?
C'est ce que nous appelons la «révolution de genre inachevée». Les femmes surpassent désormais les hommes dans l'enseignement supérieur et participent davantage au travail rémunéré. Pourtant, nous ne voyons pas les hommes contribuer davantage au travail non rémunéré - garde d'enfants, tâches ménagères et tâches de soins. La Suisse, avec son système de garde d'enfants abordable limité, sa part élevée de travail à temps partiel et ses politiques qui favorisent encore le modèle familial traditionnel, permet-elle vraiment aux couples de partager équitablement le travail non rémunéré?

Et le troisième défi est la fécondité?
Oui - les taux de fécondité sont en baisse. Nous observons cela depuis des décennies, mais il est frappant de constater que même les pays nordiques - longtemps considérés comme des modèles en matière de soutien fort à la conciliation travail-famille - connaissent maintenant un déclin de la fécondité. Nous pensions qu'un bon soutien institutionnel aiderait à maintenir un taux de fécondité plus élevé. Mais ce n'est plus le cas. Nous devons donc mieux comprendre ce qui se passe d'autre dans les différents pays et quels autres facteurs entrent en jeu - l'incertitude économique, l'évolution des aspirations de vie ou les inégalités de genre persistantes, par exemple.

Pourquoi cette recherche est-elle importante pour la Suisse?
Les familles se diversifient, les rôles de genre évoluent et les modèles de fécondité changent - pourtant nos politiques n'ont pas suivi le rythme. Sans données comparatives solides, les décisions sur la façon de relever ces défis démographiques sont prises à l'aveugle. Dans ce projet, nous montrerons où se situe la Suisse, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, offrant espérons-le des preuves pour informer et guider les décideurs politiques.

Qu'est-ce qui rend cette étude unique?
Nous apportons le Programme Générations et Genre en Suisse - une vaste enquête harmonisée au niveau international déjà menée dans plusieurs pays européens et même au-delà. Cela signifie que nous pouvons directement comparer la Suisse avec d'autres pays confrontés à des défis démographiques similaires. Et parce qu'il s'agit d'une étude longitudinale, nous suivrons les mêmes personnes au fil du temps pour voir comment leurs attitudes et comportements concernant la famille, le travail et les soins évoluent.

Quels défis avez-vous rencontrés lors du lancement de ce projet?
Obtenir un financement a été un véritable défi. J'ai réussi à faire inscrire le Programme Générations et Genre sur la Feuille de route suisse pour les infrastructures de recherche. C'était un signal clair de son importance scientifique et politique - mais la reconnaissance n'était pas accompagnée du soutien financier nécessaire. Bien que tout le monde s'accorde sur l'importance du projet, personne ne voulait le financer.

Comment avez-vous débloqué la situation?
La première étape a été un message clair du FNS selon lequel le financement devait être lié à un projet de recherche solide, et non simplement à une initiative d'infrastructure. Une fois cela clarifié, j'ai réuni une équipe de chercheurs motivés de diverses universités suisses pour développer les idées de recherche principales du projet. Le soutien large de plus de 120 chercheurs suisses et internationaux a également aidé à démontrer un fort intérêt pour les données, ce qui a été crucial pour avancer.

Propos recueillis par Kalina Anguelova